« Et de quel instrument jouez-vous Monsieur
qui vous taisez et qui ne dites rien ? »
lui demandèrent les musiciens.
« Moi je joue de l’orgue de Barbarie
et je joue du couteau aussi ».
L’histoire misérable de Subirada
La misère d’avant et le luxe honteusement revendiqué avaient donné à Subirada une âme de créancier. Si Subirada avait conçu un jour le projet insensé d’être parfaitement gentilhomme et surtout plein de richesses et d’honneurs, il savait que ces honneurs lui seraient rendus. Il se disait à lui-même : « Pour être très riche, et par conséquent très heureux, il n’y a qu’être : très curieux. Et rien n’est plus aisé, comme on le sait, si on est laborieux..
Subirada venait de Catalogne. Enfant martyr d’exilés au chômage de la péninsule ibérique, ses parents avaient vécu dans des camps de réfugiés. Il taisait ses origines, mais on finit par les apprendre car il eut de nombreuses altercations avec ceux qui le forcèrent à quitter ce pays où tout son argent passait pour un logement insalubre. Et à la suite d’une ultime dispute, à quarante ans, il décida de poser ses bagages dans un grand hôtel de la Riviera sur les bords de la Méditerranée sans doute pour assurer les moyens de subsistance dont il avait besoin. Subirada était un employé, fort affable dans son service à la clientèle, obséquieux même et qui commençait à croire que cet hôtel de luxe allait lui apporter la fortune dont il rêvait. Il travailla dans ce complexe hôtelier pendant plusieurs mois où il acquit la réputation d’un être instable et sans le sou. Parfois, on le croyait parti pour toujours puis les clients le voyaient réapparaître avec plaisir en dînant. Mais lui semblait toujours très éloigné avec un esprit différent.
Alors, on suppose que cette transition d’homme à tout faire avec son monde d’origine était par trop brutale. Car, à l’hôtel, il se mit à parler de ses problèmes majeurs, de mort et d’argent. Il disait à ses collègues et à son plus proche Martin, n’avoir pas encore trouvé les remèdes à sa médiocrité. D’ailleurs, c’est à compter de cette période que Subirada, dans l’esprit de tous, sembla avancer en ayant l’air d’un conquérant.
Un employé modèle
Il faut dire que l’employé Subirada se transforma en employé d’étage, en plus d’être de service dans la salle du restaurant. Il était toujours le premier à pousser la table à balais roulante dorée dans les couloirs du dernier étage réservé à l’élite. Mais il était aussi toujours le premier, quand les chambres restaient entr’ouvertes, à tirer profit de ses dons de communication qui n’avaient de pareil que la perspicacité de son œil de rôdeur.
Mais il y avait aussi cet autre employé, Martin, son collègue qui l’aimait, quand lui s’en moquait. Martin avait les montures assorties à son complet veston et si elles retombaient sur son nez trop long quand il prenait les commandes aux tables de la salle à manger, il le gênait lorsqu’il poussait son chariot sur le même étage que lui, non seulement, pensait-il, pour contenter la direction et aussi sûrement pour l’espionner. Lui seul se savait capable de distinguer un pauvre d’un nanti, une fille d’une épousée, une opportunité dans un univers entier.
Tant et si bien qu’il snobait son ami, et les paupières plissées, il cherchait toujours le détail qui provoquerait la rencontre avec un fait unique. Ah ! ses mains trop grandes s’affairaient au ménage, certes, mais ses yeux qui clignaient comme deux pupilles d’un chien aux abois ne perdaient pas l’once d’une opportunité pour un éventuel fait divers.
Une manière à lui de se faire bien voir lui aussi de la Direction mais surtout de prolonger ses instincts de chasseur.
Envie de lucre
Sa vision
Il n’était pas aveugle quand même !
En fin de compte, il s’était glissé dans la chambre à l’aide du sas de couloir qui menait à la pièce centrale devant l’immense baie inondée de clarté dans la chambre 49 mais, aussi dans la salle-de-bains . Alors quand un regard d’impudence s’était imposé à lui, il n’avait pu qu’accrocher, il avait trouvé que ce regard de fleurs sauvages aux accents enfantins, était si timide.. Mais comme Subirada, cette nuit là, avait osé rester, il s’en était voulu ensuite d’avoir déshabillé du regard ce couple avec la jeune fille, et comme cette chambre était ouverte, son esprit n’en avait pas moins vagabondé jusqu’au cuir des chaussures de luxe marron aux pieds de cet homme comme celui qui avait toujours semblé le narguer. Et ce fut sans doute dans ce luxe ostentatoire qu’il s’attendrit pour ressentir l’immense besoin de venger la misère des siens. Mais, en réalité, c’était une ivresse pure et inconnue qui l’avait submergé en ces lieux, et il promit, face à l’arrogance extrême des protagonistes qui faisaient fi de l’ombre de Satan, de ne pas les oublier.
« Retourne-toi donc jeune fille que je te vois ! mais si par malheur je me suis trompé, un autre que moi se trompera aussi.. »
Le couple
Effectivement, il s’agissait bien, dans cette chambre, de cet homme à la mèche grise oblique sur le front qui ne le regardait jamais après maints états de ses services à table. Après quelques minutes de contemplation, la physionomie exsangue de l’espagnol ne voyait sans doute que ces ongles aux ors d’écrins multicolores, si incroyablement petits et brillants. mais pour un Subirada avide de sensations, ces diamants clairs en perles de doigts, n’étaient-ils pas des joyaux de promesses ? Elles voyageaient à droite et à gauche pour chercher ses instruments dans la pénombre de la chambre. Subirada les épiait, réclamait un spectacle plus appuyé, sans qu’il ne se lassât de regarder, et sans que la fille perdît un instant à s’en douter et à le regarder.
Ce spectacle traversait ainsi toute sa tête. Il imaginait un scénario familier. Hé ! mon Dieu ! tous les hommes caressant lentement les cheveux couleur de lune de leur progéniture comme une parure lissante, tous s’autorisant la liberté de penser et de renaître, c’était pas Dieu possible ! Leur éducation allait les empêcher de décrire comment elles descendaient trop vite sur un corps trop mince. On les avaient élevés dans la connaissance de la morale, tandis que là ils voyaient avec l’alliance d’un seul homme qu’on ne pouvait les tromper qu’autant qu’ils sont idiots.
La morale
– « Ciel ! , je ne suis pas d’entre les prudes mais, je vais demander à Martin si on peut aimer les animaux, les arbres, les fleurs et sa fille ! Martin avait répondu qu’il était fou et qu’il aimait trop les femmes…
Tenez, ça m’indigne ! Et je le dis à la Madone, ces deux veillaient l’un sur l’autre ils s’empêchaient mutuellement de violer le secret sacré des Lois, mais pendant que l’un donnait cette musique si consolante et si voluptueuse, l’autre versait des larmes. Ils se haïssaient mais ils aimaient leur confort : ce sont des amants jaloux qui servaient leurs défauts.
Dans mon pays, les rossignols et les serins font l’amour mais il existe une morale; il s’était imaginé qu’il verrait aujourd’hui à la porte une filmographie de cinquante coups de bâtons ou cent mille baisers commandés par des traitres afin de mieux les éradiquer ; il trouva pour tout spectacle une robe de chambre bleue marine de chez Armani, des yeux veloutés, justifiant de la pure immoralité, et une main tremblotante qui roulait comme une manne sur une hanche juvénile.
Ayant pénétré par pure malhonnêteté dans cette chambre qui lui avait paru très belle, mais moins que celles de Catalogne, il avait été très surpris d’y voir un homme avec quelqu’un qui n’était pas une femme.
Le bouffon de service
– « Me prendrait-on pour le Gourmand de service ? Avec, je ne sais quoi d’obscène dans les pensées ou de délirant dans ma tête ? Moi l’espagnol, je ne serais qu’une sorte de voyeur ? Alors celui qui dit ça vous ment effrontément. Et si vous l’écoutez quel dommage ! J’aime invoquer mon église d’Espagne et son « Christ miséricordieux », mais, dites ! dans un complexe hôtelier de classe internationale, est-ce la coutume qu’un phénix affligé d’un mal qu’on ignore ordonne à une fille de lui obéir « ?
Et c’est depuis ce temps que Subirada en perdit la raison.
La veille, où il avait servi ce client à une table au cours d’un dîner gastronomique, les voisins avaient été témoins des paroles irrespectueuses proférées à l’encontre du gouvernement d’en place. Comment au cours de ce repas, Subirada n’avait-il noyé l’important ?
C’est alors qu’on entendit un coup de feu.
Subirada tressaillit ; il sentit l’énormité du crime qu’il avait failli commettre.
L’hôtellerie
De pensées en pensées, il avait déjà monnayé dans son cerveau, en moins d’une minute, la perversion génétique absolue. Ces sortes de mœurs auraient amusé Subirada s’il avait pu être occupé d’autre chose que d’argent…
Comme de bien entendu, Martin avança son chariot avec la foule jusqu’à la chambre des impudents et ce fut là qu’il vit un énorme brasier et une flaque rouge sang et vis-à-vis de ce brasier, un banc qu’on appelait un Tribunal où la Madone l’attendait. .. Il allait lui dire qu’il était le Monarque de la terre le plus juste et le plus sage et qu’il ne devait pas être puni.
Geeeen
dans « et on n’oubliera jamais »
1 commentaire
Girob · 11/13/2021 à 17:02
Félicitations! Vous avez le don d’écriture. Vos phrases transmettent bien les émotions et les situations avec une plume légère et allégorique. Vous suggérez plutôt que dire. Je ressors ému et songeur de cette lecture!