Une émission de radio de France Culture :

Notre meilleur philosophe misanthrope

— Arthur Schopenhauer, L’art d’avoir toujours raison, 1830

Le livre

Dans son livre, L’art d’avoir toujours raison ou Dialectique éristique, publié en 1864 à Leipzig, Arthur Schopenhauer propose un véritable manuel d’auto-défense intellectuelle face aux adversaires.

Comment répondre lorsque l’on est à court d’argument ?

Alors, pour notre plus grande aide en matière de dialectique, voici les principaux stratagèmes parmi les 38 que suggère Schopenhauer.

Logique et dialectique selon Arthur Schopenhauer

L’auteur commence par distinguer la logique et la dialectique. Voici ce qu’il explique :

– La logique est la science des principes de la démonstration. Elle concerne la recherche de la vérité objective. La science de la dialectique, dans le sens que lui donne Schopenhauer, a pour principal but d’établir et d’analyser les stratagèmes malhonnêtes. De cette manière, ils seront immédiatement identifiés dans un débat réel, et écartés.

– La dialectique est l’art de se défendre contre tout type d’attaque, et l’art d’attaquer toute thèse de l’adversaire sans se contredire soi-même.

Les dix principales idées du manuel de controverse :

1/Ne pas confondre véracité et validité d’une thèse

La dialectique éristique est l’art de la controverse. On l’utilise pour avoir raison par tous les moyens. Aussi bien honnêtes et rationnels que malhonnêtes. Car il peut arriver un moment où les arguments traditionnels ne suffisent plus à avoir raison.

Cela n’implique pas nécessairement que notre façon de nous défendre ne soit pas la bonne. Cela signifie simplement que l’argument principal ne nous vient pas à l’esprit. En effet, si un adversaire réfute une preuve, et par là donne l’impression de réfuter notre thèse, il peut cependant exister d’autres preuves.

Les rôles ont donc été inversés : l’adversaire donne l’impression d’avoir raison alors qu’il a objectivement tort. Ainsi, la véracité d’une phrase et sa validité pour le débatteur et l’auditeur sont deux choses différentes. C’est précisément sur cette validité que repose la dialectique.

2/Pas de controverse avec le premier venu

« Sur cent personnes, écrit Schopenhauer, il s’en trouve à peine une qui soit digne qu’on discute avec elle ». La controverse est souvent bénéfique aux deux parties car elle leur permet d’échanger leurs idées.

Mais il faut que les deux adversaires soient à peu près du même niveau en savoir et en intelligence. Si le savoir manque à l’un, il ne comprend pas tout et n’est pas au niveau. Si c’est l’intelligence qui lui manque, l’irritation qu’il en concevra l’incitera à recourir à se montrer inamical voire grossier. Schopenhauer rappelle ces paroles de Voltaire : « La paix vaut encore mieux que la vérité ».

3/Deux méthodes d’argumentation :

La démonstration obligatoire lors du débat pour faire valoir que cette thèse n’est pas en accord avec la nature des choses, avec la vérité.

La démonstration qu’une thèse adverse contredit d’autres affirmations ou concessions de l’adversaire. Il ne s’agit alors que d’une preuve relative qui n’a rien à voir avec la vérité objective.

4/Deux méthodes de réfutation :

La réfutation directe attaque la thèse adverse dans ses fondements. Soit elle démontre que les propositions sont fausses, soit que les conclusions n’en découlent pas.

La réfutation indirecte attaque la thèse sur ses conséquences, soit en démontrant que la thèse conduit à une conséquence fausse, soit en trouvant un cas particulier compris dans le champ de la thèse mais auquel elle ne peut s’appliquer.

5/Plus une thèse est générale et plus il est facile de l’attaquer et de la réfuter

Ici la stratégie consiste à reprendre la thèse adverse en l’élargissant hors de ses limites naturelles. Et en lui donnant un sens aussi général et large que possible et en l’exagérant. Inversement, il est possible de défendre ses positions en réduisant davantage les limites dans lesquelles elles s’appliquent initialement.

6/Cacher son jeu

Lorsque l’on désire tirer une conclusion, il ne faut pas que l’adversaire voit où l’on veut en venir, mais quand même lui faire admettre les propositions une par une, l’air de rien, sans quoi l’adversaire tentera de s’y opposer par toutes sortes de dérivations.

S’il est douteux que l’adversaire admette les propositions, il faut établir des propositions à ces propositions, et s’arranger pour les faire admettre. Vous cachez ainsi votre jeu jusqu’à ce que votre adversaire ait approuvé tout ce dont vous aviez besoin pour l’attaquer.

7/Forcer l’adversaire à l’exagération

La contradiction et la dispute incitent l’homme à l’exagération. Nous pouvons ainsi par la provocation inciter l’adversaire à aller au-delà des limites de son argumentation. Ainsi nous réfutons ses arguments et donnons l’impression que nous avons réfuté l’argumentation elle même. De même, il faut faire attention à ne pas exagérer ses propres arguments sous l’effet de la contraction. L’adversaire cherchera souvent lui-même à exagérer nos arguments au-delà de leurs limites. Dans ce cas, il faut l’arrêter immédiatement pour le ramener dans les limites établies : « Voilà ce que j’ai dit, et rien de plus. »

8/Fâcher l’adversaire

Provoquez la colère de votre adversaire : la colère voile le jugement et il perdra de vue où sont ses intérêts. Il est possible de provoquer la colère de l’adversaire en étant injuste envers lui à plusieurs reprises. On peut aussi se montrer généralement insolent.

9/Faire diversion

Lorsque l’on se rend compte que l’on va être battu, on peut créer une diversion. C’est-à-dire commencer à parler d’autre chose très différent. Comme si ça avait un rapport avec le débat et consistait en un argument contre votre adversaire.

10/Ultime stratagème : se montrer insultant et malpoli

Lorsque l’on se rend compte que l’adversaire nous est supérieur et nous ôte toute chance de gagner par la raison, il faut alors devenir blessant, insultant, malpoli. Cela consiste à passer du sujet de la dispute (que l’on a perdu), au débatteur lui-même en attaquant sa personne. On pourrait appeler cela l’argumentum ad personam pour le différencier de l’argumentum ad hominem.

Son autobiographie

En 1853 à l’âge de soixante-trois ans, le philosophe envoie à la rédaction du Meyer’s Konversations-Lexicon, une « notice sur sa vie » pour y être publiée.

C’est donc lui-même qui a décidé comment il voulait se présenter au grand public :

 Ma naissance

Je suis né à Danzig le 22 février 1788. Mon père, Heinrich Floris Schopenhauer, était un commerçant très aisé de cette ville, et ma mère, Johanna Schopenhauer, devint plus tard célèbre par ses écrits. J’ai fait mes études universitaires de 1809 à 1813 à Göttingen et à Berlin ; à l’université de Berlin, le professeur était Fichte, à celle de Göttingen, G. E. Schulze Aenesidemus. J’ai remis pour ma promotion l’essai sur La quadruple racine du principe de raison suffisante, dont la deuxième édition, très largement corrigée, a paru en 1847, ici, à Francfort. Après avoir passé l’hiver 1813-1814 à Weimar et dans le cercle familier de Goethe, je partis à Dresde, où j’ai vécu indépendant jusqu’à la fin de 1818, en profitant de la Bibliothèque et des collections d’art. En 1816 parut mon écrit Sur la vue et les couleurs, et à la fin de 1818 mon œuvre principale, Le monde comme volonté et comme représentation, qui fait aujourd’hui encore le premier volume du livre ! Après l’avoir remise à l’éditeur, j’entrepris un voyage en Italie, qui me conduisit jusqu’après Naples.

Retour de Naples

« A mon retour, je soutins ma thèse de doctorat et devins maître de conférence à l’université de Berlin, où je n’exerçai toutefois que durant le premier semestre, bien que je sois resté jusqu’en 1831, en décomptant les années d’absence, inscrit sur la liste des cours. A cette époque, l’Hegeliânerie faisait plus que jamais florès. En 1822, je fis un nouveau voyage en Suisse et en Italie et ne revins à Berlin qu’en 1825. J’y ai travaillé jusqu’en 1830 à une version latine et corrigée de ma Théorie des couleurs, que j’avais auparavant fait paraître en allemand, et qui, dès lors, sous le titre Theoria colorum physiologica, eademque primaria, prit place dans le troisième volume des Scriptores ophthalmologici minores édités par Justus Radius. Lorsqu’en 1831 le choléra atteignit pour la première fois l’Allemagne, je me repliai provisoirement jusqu’ici, à Francfort. Comme l’endroit fut en effet épargné et que le climat et les commodités qu’on y trouve me plaisent, j’y suis resté et y ai vécu en étranger indépendant voici maintenant vingt et un ans. En 1836, j’ai fait paraître ici mon petit écrit Sur la volonté dans la nature, auquel j’attache une valeur très particulière, car c’est là que le cœur intime de ma métaphysique est exposé de la façon la plus fondamentale et la plus précise.

Éthique et morale

« Peu de temps après, j’ai répondu à deux questions mises au concours, sur la morale, l’une de l’Académie des sciences norvégiennes, l’autre du Danemark. Seule la première a été couronnée et les deux réunies ont paru ici en 1841 sous le titre Les deux problèmes fondamentaux de l’éthique. Enfin, en 1844, j’ai fait paraître la deuxième édition de mon œuvre principale, augmentée du double et en deux volumes (en 1851 paraissent encore les Parerga et Paralipomena, également en deux volumes).

« J’ai eu la chance de passer ma vie en toute indépendance et dans la jouissance complète de mon temps et de mes forces, comme mes études multiples, ainsi que l’élasticité et la liberté d’esprit requises par mes œuvres l’exigeaient. »

Francfort-sur-le-Main, le 28 mai 1858, Arthur Schopenhauer

Sources :
Willkommen Welcome
Le monde comme volonté et comme représentation : Editions Puf – quadrige – Grands textes.


1 commentaire

Cispeo · 11/27/2021 à 14:55

J’ignorais que les philosophes puissent donner des conseils pour avoir raison en toutes circonstances ! Pour moi la philosophie est l’art de tempérer et de faire ressortir le côté positif des situations.
Néanmoins article bien écrit et fort intéressant

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