« Un peu » de Jacques Lacan

Jacques LACAN (1901 – 1981)

Sa vie

Psychanalyste et psychiatre français (1901-1981) Jacques Lacan naît à Paris le 13 avril 1901.
Il fut l’un des plus célèbres psychanalystes du XX è siècle.
Il constitua une véritable figure de proue du « retour à Freud », Freud qu’il estime trahi par l’orientation prise par la psychanalyse américaine influencée à cette époque par la psychologie de l’ego. Jacques Lacan, c’est aussi l’homme, très controversé, parce que tour à tour provocateur et iconoclaste.
En Tchécoslovaquie à Marienbad, il prononce en 1936 sa célèbre conférence sur le stade du miroir. A Paris, il fréquente les milieux littéraires et artistiques et se lie avec les surréalistes.
Il rompt en 1952 avec l’Association internationale de psychanalyse fondée en 1912 par Sigmund Freud et ouvre l’Ecole Freudienne de Paris, se consacrant surtout à la formation théorique des futurs psychanalystes.

Ses théories

Faucher s’interroge sur l’apport de Lacan à la tradition psychanalytique :
« Alors que Freud a pu paraître révolutionner la conception que l’homme avait de lui même par la découverte en lui d’une dimension pratiquement inconnue jusque-là, l’inconscient, dont la conscience ne représente plus qu’un épiphénomène, Lacan en vient pour sa part à dénier au sujet humain toute réalité substantielle et ne lui assigne d’autre consistance que celle du mirage, dans la mesure même où il le tient pour conditionné jusque dans ses moindres désirs, s’aveuglant perpétuellement sur lui-même en se croyant quelqu’un, alors qu’en fait il n’y a personne ».
Lacan retrace ainsi la genèse psychologique de l’enfant en mettant l’accent sur la dépendance du développement de celui-ci vis-à-vis de circonstances, identiques cependant pour tous au départ, qui, lorsqu’elles se diversifient, seront responsables de la maturation – ou de l’absence de maturation.
Ainsi celui-ci, séparé douloureusement de sa mère à sa naissance, n’en cessera pas moins de s’identifier à elle jusqu’au moment où il subira de plus en plus ses absences et cherchera alors à contrevenir à cette véritable dissociation d’avec elle par des manœuvres séductrices à son égard : ne pouvant plus être en elle, c’est lui qui, alors, tentera de l’absorber, en suscitant de sa part un désir permanent de lui qui exclurait chez elle tout autre intérêt.
Vers l’âge de six mois, l’enfant va réaliser peu à peu son autonomie, corporelle et psychologique : pressentant par anticipation cette unité organique qu’il va conquérir par la suite, grâce à l’image de la mère à laquelle il s’identifie, l’enfant, qui, jusqu’alors, ne s’appréhendait que d’une façon fragmentaire, va peu à peu éprouver l’existence d’un lien étroit entre lui et cette image que lui renvoie le miroir (ou en son absence le regard des autres) sur laquelle il va progressivement se fixer.
Alors qu’auparavant il identifiait spontanément les autres à lui, par le processus de l’introjection, et lui aux autres, par celui de la projection, l’enfant se sentira désormais, au terme de cette expérience spéculaire, tel que le voient les autres et appréhendera les autres tels qu’ils se voient, tout à la fois intérieur et extérieur à lui-même, regardé-regardant, identique et échangé à lui-même, capturé définitivement par l’apparence fantasmatique dans laquelle il s’exténue » L’éclairage de Lacan est dirigé sur l’identification du sujet dans ses rapports au langage.

Le langage

Pour lui, le langage préexiste à l’apparition du sujet et l’engendre. Le milieu proprement humain n’est pas biologique, n’est pas social, il est linguistique : « l’inconscient est structuré comme un langage ». Bruno Castets résume ainsi le schéma de développement selon Lacan : « Initialement, il existe une relation de désir unissant la mère et le père, le père n’étant que le représentant de la figure paternelle idéale à laquelle se réfère la mère et dont elle tient son langage.
Lorsque l’enfant naît, il vient prendre place dans cette relation unissant père et mère. Dès ce moment, s’établit la situation de rivalité œdipienne, rivalité ayant pour objet la place tenue respectivement par l’un et par l’autre dans le désir de la mère, rivalité qui s’établit donc entre le sujet, qu’il soit fille ou garçon, et le père. Le sujet, pour entrer en rivalité avec le père et se faire place dans le discours de la mère, doit entrer dans l’ordre de ce désir, en parler le langage, se référer au même système symbolique dont le père est le premier terme.
Secondairement, ne pouvant parvenir à être un objet unique du désir de la mère, l’enfant tiendra à se faire objet du désir du père et pour compenser le manque ouvert par la mère et pour tenter d’atteindre la mère par le biais du père. » C’est ainsi que l’enfant est de toute façon placé dans le registre d’une castration symbolique puisqu’il ne peut jamais posséder seul l’objet de son désir primordial : sa mère. Il est obligé de passer par la loi du père, reconnue par cette mère. L’enfant doit ainsi user du langage du père et ne peut donc exprimer que ce que lui autorise à exprimer ce langage.
C’est pourquoi dans les « graphes » de Lacan, le sujet, même lorsqu’il a, par cette évolution, accédé au statut de sujet désirant, est toujours représenté par un « S » barré, barre qui marque l’inévitable castration à laquelle le sujet ne peut échapper pour être et demeurer. « Il est sans doute regrettable que Lacan ait communiqué ses aperçus théoriques dans un style fort obscur pour le profane et qui semble parfois démarqué des préciosités mallarméennes.
Les influences notables qu’on peut également déceler dans sa doctrine sur le plan philosophique, telles que celles de Sartre et de Heidegger, ne suffisent pas cependant à épuiser la richesse et la fécondité d’une pensée dans laquelle on peut voir aussi une adaptation originale des enseignements bouddhistes contenus dans les écrits canoniques du Tripataka. » (Faucher Ph.)

Extraits de Jacques Lacan

Jacques Lacan, c’est un style (lui-même écrivait : « Le style, c’est l’homme »), un style qui dérange, un style qu’il veut conforme à la langue de l’inconscient. Ce que d’aucuns railleront en le jugeant incompréhensible. Pour tenter de comprendre Jacques Lacan, il faut savoir son intérêt pour la linguistique et l’étude du langage.
Ce qui caractérise l’être humain, c’est bien en effet le fait qu’il parle. L’être humain est un « parlêtre ». Or, ce langage, ce monde symbolique, comment se constitue-t-il, quelles sont les lois qui le régissent ? Selon Lacan, l’inconscient humain est structuré comme un langage, un langage qui a ses lois, sa syntaxe et ses caractéristiques intrinsèques. En bon psychanalyste freudien, Lacan connaît bien l’importance des formations de l’inconscient que sont les lapsus et les jeux de mots.
Dans la formation des rêves, il connaît la condensation et le déplacement. Il y repère des mécanismes de langage. Il compare à titre d’exemple la condensation dans un rêve à la métonymie(par exemple, on dit boire un verre lorsqu’en fait on en boit le contenu : voilà une métonymie qui substitue un terme à un autre sur base d’un lien de proximité), et le déplacement à la métaphore (par exemple la bouche d’un fleuve, le cœur d’une forêt, sont des métaphores), c’est-à-dire deux opérations langagières. Il distingue le signifiant et le signifié, au même titre que le contenu manifeste du rêve est différent du matériel latent.
Pour Lacan, le Sujet se constitue par son accès au monde symbolique. Mais dans le même temps qu’il entre dans le langage, il s’y aliène, il y perd quelque chose de fondamental de sa Vérité. Lacan nomme cette opération la « Spaltung » ou Fente du Sujet, représenté comme barré. En effet, dans le langage, le Sujet ne peut être que représenté, dans un discours qui lui préexiste (la langue maternelle ou le discours de l’Autre) et qui d’ailleurs l’a déjà parlé avant même sa conception (les fées qui se penchent sur son berceau, pour lui jeter de bons ou de mauvais sorts, dans les légendes).
Pour vivre, le petit homme a besoin d’être reconnu, d’être parlé, et en même temps, il risque de confondre les représentations de lui-même que les autres (d’abord sa famille) lui renvoient -son image-avec son être propre. Le Sujet, à se nommer dans son propre discours et à être nommé par la parole de l’autre, se perd dans sa réalité ou sa vérité. La vérité sur lui-même, que le langage échoue à lui donner, il la cherchera dans des images d’autrui auxquelles il va s’identifier. C’est ce que Lacan appelle le « stade du miroir ». Un petit enfant de 6 à 8 mois qui se regarde dans un miroir prend tout à coup conscience de l’unité de son corps et jubile, se met à rire. Il s’y reconnaît comme entier et s’identifie à son reflet spéculaire. Depuis ce stade du Miroir, pour Lacan, « le moi est absolument impossible à distinguer des captations imaginaires qui le constituent de pied en cap: pour un autre et par un autre ».
On le voit, pour lui, le moi n’a pas à être renforcé par la cure analytique (critique de l’ego-psychology) mais bien déconstruit en décollant une après l’autre les identifications aliénantes dont il est, un peu à la manière d’un artichaut, constitué, afin que la Vérité du Sujet puisse advenir (Lacan traduit ainsi la célèbre phrase de Freud : « Où Çà était, Je dois advenir »); C’est-à-dire que la guérison consiste à sortir de l’imaginaire aliénant (là où nous sommes capturés dans les filets du désir de l’autre) pour accéder à notre désir propre.

Leclaire parle de Lacan

Serge Leclaire, disciple de Lacan mais aussi grand penseur autonome de la psychanalyse moderne, nous donne une image parlante de ce processus, dans son livre « On tue un enfant » : selon lui, la tâche la plus difficile à accomplir pour chacun de nous est de perpétrer le meurtre de l’enfant merveilleux du désir de l’autre. Ce meurtre de l’immortel enfant de nos rêves est toujours à refaire,car il est nécessaire pour que notre désir puisse advenir. « Non, Je n’est pas ça. Il ne naît et renaît que d’une désintrication toujours à reprendre du corps et des mots; d’une traversée perpétuellement à recommencer de la grille des signifiants. » Il est important de bien saisir qu’il s’agit d’une opération structurale: quelque chose du Sujet ne peut entrer dans la chaîne signifiante et est, de ce fait-même, irrémédiablement perdu. C’est l’objet, que Lacan nommera » petit a », ou la catégorie du Réel (par opposition au Symbolique et à l’Imaginaire).
Serge Leclaire parle du corps à cet endroit. Comme le dit Anika Lemaire, le mot engendre le meurtre de la chose (le livre d’Anika Lemaire, auquel je me réfère pour la conception de cette page, est certainement un ouvrage de premier choix et de grande qualité pour le néophyte souhaitant s’orienter dans la pensée lacanienne : il s’agit de « Jacques Lacan », collection Psychologie et Sciences Humaines, Pierre Mardaga, éditeur, Bruxelles). En même temps, le mot permet de rendre présent l’objet absent. C’est là précisément la fonction du fantasme (ce que Freud avait articulé autour du jeu de la bobine, for/da, où l’enfant, en déroulant le fil d’une bobine l’écarte puis la fait revenir, jouant ainsi l’absence/présence de la mère). Mais l’objet reste irrémédiablement perdu, laissé pour compte, reste de l’opération signifiante.
Il n’empêche que notre vie durant, nous cherchons à le retrouver, dans une impossible rencontre, rendez-vous toujours manqué. C’est pourquoi Lacan, dans sa formule du fantasme, accole deux sigles mathématiques antithétiques ( dans Sa). Pour lui, la visée de la cure est la traversée du fantasme, c’est-à-dire la reconnaissance de cette perte (ou castration) incontournable, irrémédiable.
Pour Serge Leclaire, cette opération de perte du monde de l’objet constitue le refoulement originaire par lequel le sujet se réalise, parce qu’un accès au désir devient possible (recherche d’un paradis perdu, terre natale ou d’exil, sein nourricier…) en même temps que « Je » s’aliène en « moi ». Le Sujet, dit-il, devient le garant d’une lutte constante entre la puissance colonisatrice des mots et la révolte des « laissés pour compte ». C’est à ce stade que Serge Leclaire articule la pulsion de mort, comme « une force qui maintient distincte et fondatrice la référence au Phallus », c’est-à-dire qui maintient distincts le Réel (ou monde de l’objet perdu, du corps aussi) et celui des représentations inconscientes (langagières).
C’est donc la pulsion de mort qui organise le refoulement originaire, condition nécessaire à la constitution d’un Sujet désirant. On le voit, Lacan reprend la théorie freudienne pour la mener plus loin. En l’articulant à la linguistique, il lui confère une nouvelle envergure. Il lui donne un second souffle. Il repense à la lumière du langage différents concepts freudiens : le transfert (le « sujet-supposé-savoir »), le complexe d’œdipe (le nom (et le non) du Père, le Père étant le représentant du monde symbolique qui nomme l’enfant et définit la Loi), et ces concepts s’éclairent d’un jour nouveau.
Il serait naturellement trop long , dans un blog comme celui-ci, de dresser un inventaire de la cartographie lacanienne.
J’ai juste rapporté quelques écrits passionnants sur Jacques Lacan avec des lignes-force. Pour beaucoup, Lacan est un grand penseur ainsi qu’un grand psychanalyste. La psychanalyse après lui n’est plus la même qu’avant. Sa rigueur théorique a mené à de grandes avancées. Les critiques formulées à son égard (appât du gain, séances variables, souvent (trop) courtes, etc) paraissent viser l’homme et non l’œuvre. Selon certains connaisseurs, il existe de nombreux points de jonction entre sa pensée et celle de Jung. Même si Lacan en parle fort peu. Il aurait dit de Jung : « Il a dit toute la vérité, c’est même son tort, il n’a dit que cela« .

Ses principaux ouvrages

Ecrits (Seuil 1966) : ce gros volume de 900 pages rassemble les textes de 27 articles, communications ou conférences publiés entre 1936 et 1966 notamment : le stade du miroir comme formation de la fonction du « je » (1949) Ed. Le Seuil, 1966 Fonction et champs de la parole et du langage (1953).

Sources

  • Jean Allouch, Freud, et puis Lacan, 1993
  • Joël Dor, Introduction à la lecture de Lacan, Denoël, 1985 et 1992
  • Élisabeth Roudinesco, Jacques Lacan. Esquisse d’une vie, histoire d’un système de pensée, Fayard 1993
  • Alain Vanier, Lacan, Les belles lettres, 1998
  • Markos Zafiropoulos, Lacan et les sciences sociales, PUF 2001
  • Jean-Claude Milner, L’Œuvre claire : Lacan, la science et la philosophie, Le Seuil, collection « L’Ordre philosophique », 1995
  • Jean-Pierre Cléro, « Concepts lacaniens », Cités, 4/2003, n° 16, p. 145-158. [1] [archive], DOI:10.3917/cite.016.0145.
  • Jean-Pierre Cléro, Le Vocabulaire de Lacan, Ellipses, Paris, 2012, (ISBN 2729876022)
  • Liliane Fainsilber, Les orthographes du désir, L’Harmattan, ,
  • Serge Leclaire

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